10 Juin 2019
C'est l'histoire d'un enfant de 18 mois.
Il est accueilli en crèche.
Cela fait déjà quelques semaines que l'équipe s'inquiète.
Il évolue à côté des autres enfants. Ne sollicite ni ne répond aux sollicitations.
Il erre. Il aligne les jouets. Il tape une baguette de xylophone sur le sol. Il ne dit pas un mot. Il ne s'accroche jamais au regard. S'il pleure, c'est sans bruit. S'il rit, c'est sans raison apparente.
Inquiétudes légitimes.
La crèche est aussi là pour cela.
Dépister des troubles développementaux.
Les inquiétudes des auxiliaires sont transmises à la responsable puis aux médecin et psychologue de la structure.
On décide tous ensemble de qui va parler de quoi aux parents.
Ça fait peur. Annoncer un début de mauvaise nouvelle.
Le doc s'y colle. Les auxiliaires ont déjà transmis quelques préoccupations aux parents. La responsable aussi en proposant un RDV avec le médecin.
Personne n'a envie d'y croire. Ni les parents ni personne. Pas même le doc.
C'est peut-être un déficit sensoriel. Vérifions que votre bel enfant entend et voit clair.
Et puis arrêter tous les écrans. Hein? Tous les écrans.
Évidemment et malheureusement, le problème ne sera pas si simple.
Il y aura un léger mieux. Parce que les écrans auront laissé place au scrutant regard inquiet de tout l'entourage. Mais ce sera partiel et transitoire.
Et parfois. C'est comme ça.
Les parents ne peuvent pas entendre que leur enfant pourrait avoir des troubles autistiques.
Impossible.
Il faudra du temps et des arguments concordants pour que cela soit entendable.
Alors, les professionnels que nous sommes devrons réfréner notre impatience et notre désolation de voir couler ce temps (précieuse prise en charge précoce). Car on sait les chances perdues à chaque jour qui passe. Car on sait le regard noir des spécialistes interloqués de recevoir si tard un enfant dont les symptômes sont apparus des mois plus tôt.
Mais ce temps n'est pourtant pas perdu. Il est celui du deuil des parents. Deuil de l'enfant imaginé.
L'essentiel est de parvenir, à terme, à mettre des soins en place et du soutien. Et de la bienveillance. Et pas de condescendance. Et pas de regret. Ni de culpabilité. Faire de son mieux. Chacun. Ce sera déjà beaucoup.
[Quand les parents auront accepté la nécessité des soins, une autre lutte s'amorcera : obtenir un rendez-vous, mettre en place un suivi...alors même que la pédopsychiatrie est si peu suffisamment dotée]